Cameroun : Grèves de la faim, révolte contre l’injustice ou chantage judiciaire
La liberté d’expression quoique sujette à question, a considérablement évoluée au Cameroun. Nous sommes partis des motions de soutien à l’honneur du prince aux marches pacifiques, puis progressivement des settings à la révolte par les violences de la rue et dernière trouvaille en date, aux grèves de la faim.
L’ex-secrétaire d’Etat au ministère des Enseignement secondaires, Catherine Abena, interpellée le 08janvier dernier dans le cadre d’un dossier de détournement présumé de fonds publics, en est l’expression la plus récente. Depuis son arrestation. Elle a observé une grève de la faim qui lui a permis d’échapper momentanément à l’univers carcéral de Kondegui, où elle avait été admise à faire valoir ses droits judiciaires. Son acte visait à contester les accusations portées contre elle, qui n’était que le second d’un ministre encore en poste.
Aujourd’hui, impossible de ne pas remarquer la présence des éléments de l’administration pénitentiaire, en faction devant le bloc de « réanimation et soins intensifs » de l’hôpital Central de Yaoundé. Catherine Abena y est hospitalisée depuis vendredi 15 janvier 2010 après être tombée dans les pommes à la prison de Kondegui.
Elle est poursuivie pour faute de gestion, après les conclusions d’une enquête du Conseil de discipline budgétaire et financière qui lui impute une perte de deux cent cinquante millions Fcfa. Pour s’insurger contre cette « injustice », la fille de Manga Pauline Jacqueline et de feu Abena Hubert Claude, Administrateur civil et ancien préfet, se refusait à toute consommation d’eau et de nourriture.
Depuis, l’ex-secrétaire d’Etat aux Enseignements secondaires a recommencé à s’alimenter après avoir observé une grève de la faim pendant environ dix jours. Le 19 janvier 2010, Catherine Abena a décidé de renouer avec les délices de la cuisine sur conseil des médecins.
Ondo Ndong aussi
Elle n’est pas la première qui ait ainsi tenté cette forme de protestation. Malgré les charges qui pesaient sur lui, l’ancien Directeur général du Feicom, condamné en 2007 à 50 ans, avait au départ de son aventure carcérale décidé de repousser les repas qui lui étaient offerts.
Ce n’était pas encore officiellement une “ grève de la faim ”, mais ça y ressemblait. Les visiteurs et les geôliers de Emmanuel Gérard Ondo Ndong ont noté qu’il avait décidé de repousser les repas proposés, sans qu’aucune source ne se hasarde à s’étendre formellement sur les raisons de cette décision. C’est tout juste si on supputait sur une éventuelle corrélation entre les décisions du tribunal de grande instance de Yaoundé et cette option de M Ondo Ndong. Tentative de contestation du verdict de la justice, ou forme de “ guerre psychologique ” contre un système rattrapé par ses contradictions ?
Ondo Ndong, Catherine Abena s’affirment comme des figures symboliques d’un régime, dont l’un des traits caractéristiques se cristallise autour d’un pouvoir qui encourage les atteintes les plus féroces à la fortune publique, favorise les mœurs les plus licencieuses en matière de gouvernance, promeut la privatisation des ressources publiques par une élite prédatrice, sans rien négliger du détournement des richesses publiques au bénéfice du parti au pouvoir ou à la jouissance débridée des “ criminels à col blanc ”, dont le président Paul Biya disait le 21 juillet 2006, du haut de la tribune du 3e congrès extraordinaire du Rdpc qu’ils devraient “ rendre gorge ”.
Rouge gorge ?
Si l’aventure de Ondo Ndong a été perçue comme un pet de lapin, un chroniqueur estime que « Catherine Abena a prouvé une chose : l’action punitive du Pouvoir est creuse parce que manquant de socle moral. Personne d’autre que Catherine Abena n’a réussi à faire vaciller l’édifice de la fameuse « Opération épervier » avec autant de vigueur que l’ex-secrétaire d’Etat l’a fait, il y a quelques semaines ».
Avec Mme Abena, ajoute le chroniqueur décidemment en verve, « le pays a découvert, quelque peu ahuri, que la dissidence est possible : que quelqu’un peut refuser de se résigner, dire non, en faisant valoir une force de caractère autonome, rare. On doit donc à cette Femme d’avoir engagé l’un des premiers vrais tournants de cette affaire, celui qui fait triompher la seule détermination morale devant des tractations politiciennes dont personne n’a jamais eu la maîtrise des contours ».
D’où l’embarras du Pouvoir. « Qui se retrouve en face d’une difficulté inédite : être obligé de construire une justification publique de son action (ce qu’il avait toujours refusé de faire, jusqu’alors) pour répondre à un individu qui a posé son corps dans la conscience de tout un pays, comme une jurisprudence qui métaphorise l’injustice et l’aberration, comme une remise en cause brutale de tous les fondements d’une « punition collective » que les damnés sont censés accepter sans mot dire. En cela, la mort de Boto’o à Ngon avait déjà été, pour les meneurs de cette « opération », un choc, un coup moral. Catherine Abena, si elle avait emprunté le même chemin, aurait terriblement aggravé la situation et déstabilisé, en son cœur, les fondements de cette mise en scène ».
L’ex-secrétaire d’Etat a frappé les imaginations, en infligeant une défaite pour le moins cinglante à Amadou Ali et, surtout, à Paul Biya en personne. Etait ce le but recherché ? « Une défaite au système entier parce qu’elle a gravement accentué le discrédit qui pèse depuis longtemps sur cette « opération ».
Marque déposée
Quelques soient les motivations profondes de Catherine Abena, elle n’a hélas pas la marque déposée de ce genre de protestations. Malfrat en col blanc ou feyman, chacun a ses objectifs. Il y a quelques années, arrêté en possession de photocopie de billets de 500 francs français en noir et blanc, Olivier Kamga Monkam avait écopé de vingt ans de réclusion criminelle au Maroc, pour «falsification de monnaie».
Après plus de cent jours de grève de la faim, Olivier Kamga Monkam, âgé de 25 ans, avait perdu 33 kg. Il ne se levait plus, souffrait d'hémorragies intestinales, de dysfonctionnements rénaux et d'hallucinations. «La nuit, lorsque les démons viennent me visiter, je me sens brusquement immobilisé, mes membres se raidissent et je n'entends plus. C'est alors que je vois apparaître l'ombre d'êtres insaisissables, des bêtes aux pieds fendus, dansant à un rythme barbare et essayant de se jeter sur moi», écrit-il ainsi de sa prison, le 17 janvier 2002.
Plus près de nous, des personnes se réclamant du SCNC avait été contraints à la grève de la faim en 2007, après leur interpellation. En juillet 2008, des enseignants de l’Université de Douala étaient entrés en grève de la faim
L’université de Douala a été paralysée en partie par une grève de la faim « illimitée » des enseignants de cette institution supérieure qui décriaient les mauvaises conditions de travail mises en place par le recteur, et exigeaient entre autres, leur reclassement de chargé de cours à Professeur.
Les grévistes au nombre de neuf, avaient déclaré que les « manigances orchestrées du recteur » ont amené l’administration à revoir à la baisse, leur indice à la fonction publique, en témoigne le cas d’un chargé de cours, Amadou Monkaré qui dit avoir été recruté en 2001 à l’indice 635, mais qui a été ramené à 530, alors « qu’en temps normal, il devrait être au-delà de 750 ».
Des universitaires sur le macadam
En dehors des deux grévistes de la faim, sept autres enseignants qui dénonçaient « la gestion à la petite semaine du recteur » avaient souligné qu’ils allaient rejoindre leurs collègues en commençant une grève de la faim. Durant les émeutes de la faim de 2008, six morts avaient été enregistrés à Loum. Parmi ces derniers, Aya Patrick Lionel, onze ans, élève au Lycée de Loum. C’est le fils de Joe La Conscience, un activiste qui manifestait pour dire “ Non à la modification de la Constitution ”. Ce dernier s’était rendu devant l’ambassade des Etats-Unis au Cameroun à Yaoundé où il avait entamé une grève de la faim pour exiger la réouverture de Equinoxe radio et télévision.